La ballade du faune et du corbeau ~

Matin frais, le brouillard s'était posé comme un voile humide sur le marais. Les plumes de Lonàn s'ébouriffèrent et il se secoua, lâchant un bâillement en observant de haut les eaux troubles de son territoire. Le gardien silencieux s'étendit sur sa branche en glissant ses mains contre la mousse fraiche qui tapissait l'écorce de son grand chêne. Les premières neiges étaient tombées il y a quelques jours maintenant, recouvrant la forêt de son manteau froid et taciturne. La plupart avait fondue et Lonàn n'était pas parti dormir, pas encore. 

L'oiseau ne savait pas vraiment ce qui le retenait cette année. Habituellement, il se serait roulé en boule dans le creux de son arbre, seul son souffle aurait soulevé sa poitrine et ses plumes. Mais il n'en ressentait pas l'envie, pas encore. Sa joue se posa doucement contre la branche et il ferma les yeux. D'entre ses lèvres il laissa s'échapper quelques notes graves et rauques qui le firent taire. Puis reprendre de nouveau.

Le vent sifflait doucement à la signe des pins et des aulnes, il essayait de suivre ce rythme imprécis. Tout craquait autour de lui, les petits bruits de la forêt s'éveillaient à leurs cadences. Pourtant... C'était calme. Pas un animal, pas même une grenouille qui troublerait le marais, ou un serpent ondulant dans les eaux froides. Lonàn se surprit à soupirer. Cela... C'était nouveau.

Un bruit dans le lointain lui fit relever la tête mais il ne bougea pas de sa branche, masse sombre immobile entre les feuilles. Le vent n'était pas dans son sens alors il pouvait oublier l'idée de sentir un possible intru. Il décida d'attendre. 

Nött s'avança dans le marais qui accueilli son pas dans son sol meuble, imprimant sa trace dans un bruit humide sous le givre fin que ses sabots avait brisé.

Frissonnant, les pupilles élargies, Lonàn observa la fine silhouette émerger des frondes. Sous son passage un léger bruissement du givre qui se détachait des branches nues. L'oiseau ne bougea pas, laissant s'approcher l'inconnu dans la brume. Ce n'était pas inhabituel, après tout les bois d'Elal étaient peuplé de créatures en tout genre. Les Nixes, les divinités de quelques marais et surtout les kelpies se faisaient des guerres de territoire qui n'intéressaient pas Lonàn. Mais après la désertion de son marais par Faen, on avait tenté par plusieurs fois de prendre possession du lieu a présent dénué de ses gardiens. C'était sans compter l'oiseau qui défendait bec et ongle ce petit bout de marais. Ainsi les Kelpies le connaissait et lui aussi.

Alors Lonàn prenait toujours le temps de soupeser les menaces avant de se lancer toutes griffes dehors dans des combats parfois inutile, pour quelques créatures égarées. 
Ainsi, quand sa vision fut plus claire l'oiseau sembla reconnaître un faune. Son visage était familier, le jeune aventurier était déjà venu par ici, mais toujours accompagné d'une Kelpie. Où était-elle ? Il les craignait plus que les créatures terriennes et a raison. Lonàn s'étira un peu sur sa branche en observant les alentours avant de se retourner sur le faune qui l'observait, droit dans les yeux.

L'oiseau se redressa un peu vivement en le voyant s'avancer. Non ! Pas par là ! aurait-il aimer lui crier mais rien d'autre ne franchit ses lèvres qu'un souffle nerveux. Il s'empressa de casser une branche et de la lancer juste devant le faune pour l'arrêter avant de prudemment descendre de son arbre. Lonàn s'accrochait aux branches qui craquaient légèrement sous son poids, ses plumes noires suivant le mouvement de son corps alors qu'il rejoignait le sol et se redressait de toute sa hauteur. Il n'avait pas lâché le faune des yeux. Doucement, pour ne pas lui faire peur, il s'accroupit et attrapa une pierre qu'il lança de nouveau devant le trépasseur. 

Celle-ci fit un "toc" étrange en tombant avant de s'enfoncer sous la fine couche de givre dans un bruit de gargouillement. Des sables mouvants. C'est de ça qu'il voulait le prévenir. Un peu nerveux, Lonàn secoua la tête pour lui signaler de contourner ce passage, s'enfonçant dans ses plumes.

Un frisson électrique parcourut sa colonne vertébrale de tout son long, jusque dans sa nuque découverte à l'apparition qui se dressait à deux pas.

Au second rocher qui s'écrasa dans le sol froid, Nött objecta avec surprise et incompréhension:

-HEY!

Alors ça, c'était un peu fort! Ne voulait-il pas lui jeter un tronc dans la figure aussi? Deux fois! Nött voulait bien admettre que sa présence importunait la créature perchée ici, mais était-ce seulement une raison pour l'agresser de la sorte? Certes, son intrusion était inopportune, mais s'il avait voulu indiquer sa présence et revendiquer ce lieu, il aurait certainement dû laisser des objets ou des odeurs. Cela lui aurait simplifié la tâche. C'était en fait un accord tacite qui s'était établi entre les peuples, des centaines de lunes plus tôt pour préserver la paix, toujours fragile: la terre n'est à personne et ce qui y pousse non plus, mais si tu choisis de t'y établir alors, nous en serions gré que tu puisse l'indiquer afin de be pas croiser ta route et éviter tout incident.

Tout le monde avait son avis sur la question, bien entendu, Nött n'en savait trop rien et s'en moquait assez, mais pour l'instant c'était ainsi et il lui était aisé de s'en accommoder.

Ses sabots fendus s'avancèrent avec force dans le marais. Sa voix trembla un peu, trahitssant sa démarche assurée. La stature de l'étranger qui se decoupait dans la brume moite se faisait figure de géant. C'était un peu étrange. Il ne lui avait pas semblé avoir jamais rencontré une créature de telle sorte. Et pourtant, Nött avait arpenté ces lieux dans toute leurs longueurs. Il n'était pas une clairière qui n'avait pas été sillonnée de ses pas. Nött serrait fort dans ses doigts l'os d'un jeune lapin, cela faisait un long moment qu'il se trouvait dans sa paume, sans même que la jeune créature ne s'en soit rendue compte. Sa voix vascilla dans sa gorge serrée par l'apréhension.

-Je ne fais que traverser! Je ne mérite pas un tel traitement.

Nött n'eut pas le temps de peser sa pensée afin de savoir si cette justification relevait de l'agacement ou de l'intimidation:

Sa patte droite s'enfonça d'un seul coup dans la terre soudainement trop meuble. Son petit cœur manqua un battement et son regard s'ouvrit plus grand sur la forme abasourdie qui contemplait sa chute.

Oh.
C'était cela.

Eh bien cette fois, si Kiva n'était pas en chemin, elle l'était certainement désormais.

Lonàn gonfla les plumes et son visage se décomposa en entendant les paroles outrées du jeune faune. Il était évident qu'il y avait sans doute des manières plus douces de signaler un danger, mais Lonàn ne les connaissait pas suffisamment pour s'y glisser. Quoi ? Parler ? Il craignait le son affreux qui sortirait de sa bouche, mélange de croissement et hurlement qui le ferait paraître encore plus impoli. Il secoua vivement la tête et son coeur fit un bond dans sa poitrine en voyant l'intru s'avancer encore de quelques pas. 

Crac. Un petit cri ressemblant plus à un piaillement qu'a une exclamation franchit ses lèvres. Le terrain en péril ne lui avait pas laissé beaucoup de répit et la fine couche de givre qui recouvrait la surface du marais s'était craquelée sous le poids de la créature. Pourquoi était-il si difficile de se faire comprendre ? 
Sa patte s'enfonça et Lonàn avança de quelques pas prudents. Car s'il c'était dangereux pour une créature si fine, ça l'était encore plus pour un être d'un poids et d'une taille considérable. Le corbeau frissonna en repensant à ces fois où il s'était piégé seul, les ailes engluée dans les sables. La crainte de s'y étouffer le gardait à distance, car mesure était prudence et Lonàn risquait de les mettre d'autant plus en danger en s'y jetant, les entrainant tous les deux. 

L'oiseau s'agita, jetant un regard de détresse à l'enfant puis aux alentours en se tournant nerveusement. Puis s'avançant sur les limites de la berge, tendant sa main pâle aux quelques plumes noires piquées sur le dos et la paume, Lonàn lâcha 

-A..a. 

Attrape. La bête voulait dire attrape. Soudainement, il y avait de quoi se sentir bien incapable mais Lonàn avait vu ce faune plusieurs fois, le jeune semblait être une bonne âme. Au dépend de la saison, l'oiseau avait laissé de nombreuses créatures mourir dans son marais, absorbé par les eaux poisses et glacées, leurs corps le nourrissait après tout, continuait à le faire vivre. Mais il y avait quelque chose qu'il l'empêchait de laisser cet enfant se dépêtrer. 

Nött s'administra une gifle mentale suffisamment brutale pour chatouille ses cornes dans toute leur longueur. Franchement, la jeune créature aurait dû mieux savoir. Kiva lui avait montré, des dizaines de fois, les lieux sûrs pour ceux qui ne maîtrisent que la terre ferme, les espaces à craindre comme la peste, les tendre couches de terres incapables de supporter un sabot... C'était idiot vraiment. Sans doute les railleries de la kelpie résonneraient dans son crâne pour les cinq prochaines années.


Même si celle ci ne tarderait plus, le satyre n'hésita pas trop longtemps à la main tendue qui s'elançait pour hisser sa dépouille hors du piège.

L'étranger ne parvenait pas à articuler un son audible, et il était difficile de lire sur ces lèvres ouvertes, cherchant désespérément un geste mécanique gardé prisonnier dans une mémoire lointaine.


Ami, ennemi... Il n'émanait de l'étrange silhouette, pas une once d'animosité. Nött était bien incapable de dire si cette dernière nourrissait de bonnes attentions à son égard, mais il n'y avait pas de cruauté à danser librement dans les pupilles obscures. C'était bien suffisant pour convaincre le Satyre en mauvaise posture.
De toute façon cette vase flasque lui était inconfortable. S'en extirper le plus vite était sans nulle doute l'option la plus intéressante. Du reste... Nött supposa que la suite de leur rencontre le dirait bien. Les prochaines minutes donneraient certainement le ton et cette pensée lui suffisait.

La créature adolescente réprima un hoquet de surprise à la froideur sourde des doigts que sa main venaient de saisir.

Nött enroula fermement ses doigts autour du poignet de l'homme étrange. Ses mains étaient si petites... Elles couvraient à peine la circonférence de son avant bras. Un doute s'empara soudain du jeune faune quand ce dernier envisagea enfin la force de cette créature à laquelle il venait de s'attacher.

Et il n'y avait qu'une bolline blanche attachée à ses hanches... Un fugace mouvement de tête chassa toute pensée.
Si il avait souhaité voir son corps disparaître, il eût été plus aisé de laisser la tourbe se charger du reste.

Alors que son esprit se débattait pour décider du comportement à adopter, Nött fut extirpé de son piège si soudainement que ses pattes endolories,incapables de répondre pour lui rendre son équilibre, cédèrent brusquement.

Nött se maudit intérieurement. C'était décidement... Sinon la pire entrée en matière possible, au moins un désastre qui suivrait sa personne, pour le restant de ses jours.

La jeune créature se redressa, s’ébroua à proximité d'un arbre creux et lissa sa queue encore criblée de boue sans articuler le moindre mot. Son regard détailla enfin l'immense silhouette qui s'était tenue là, patiemment, à quelques mètres. Si cette dernière n'avait pas engagé quoique ce soit pour lui venir en aide, alors Nött aurait certainement pris ses jambes à son cou.

Les oreilles plaquées contre sa nuque que l'appréhension avait hérissée, le faune combla avec la souplesse d'un félin, les quelques pas qui séparaient les deux âmes. Ses pupilles s'étaient dilatées, excitées par le stress et la fascination. Incapable de savoir quelle émotion réprimait l'autre, Nött se contenta de présenter à la créature noire, un bois de cerfs, gravé et peint de symboles hivernaux.

La lumière qui pleuvait sur la voilure sagement repliée de l'être qui se tenait là, dans la candeur du matin lui faisait des perles bleues accrochées sauvagement sur ses rémiges ébènes.

Alors, Nött aurait juré que devant ses yeux se tenait un ancien dieu, cernés d'argent et des esprits en procession.

L'oiseau tira la créature de son bourbier sans grand effort, penché au dessus de la surface froide. La vase émit un bruit désagréable qui coula un frisson dans la nuque de Lonàn. La petite main s'accrochant à son bras émettait une chaleur vive, qui le brûlait presque. Et voilà bien longtemps qu'il n'avait pas senti le contact d'une autre peau que la sienne, aussi vivante. 
Le voilà bien silencieux à présent, ce passage en eaux froides lui avait-il cloué le bec ? Le gardien recula aussitôt le faune en sécurité, il resta immobile à l'observer comme une chouette curieuse. La distance soigneuse qu'il avait prit fut bientôt brisée de nouveau par l'enfant qui le dévisageait de ses grands yeux, à la fois apeurés et curieux. S'il avait si peur, pourquoi prendre le risque ? Il y avait nombre de bêtes dangereuses en ces bois, bien plus hostiles que Lonàn.

Le corbeau baissa la tête pour l'observer s'approcher, toujours immobile sous ses plumes qui couvraient sa silhouette d'un long manteau sombre. Il n'arrivait pas à déchiffrer l'expression du Satyre dont les yeux couraient partout, jusqu'à qu'il lui présente un objet. 
Lonàn cilla et inclina la tête avant de lentement se pencher, repliant ses pattes pour se trouver à hauteur d'homme. Sa tête bougea d'un côté et de l'autre pour observer le bois gravé d'élégants symboles, sa surface lisse brillaient dans les lueurs froides du matin. L'oiseau fit un bref aller retour entre le visage du faune et l'objet avant d'articuler difficilement 

-Moi ? 

Une de ses longues mains aux doigts pâles avait émergée du manteau de plume pour se désigner dans un geste maladroit. Il la tendit très lentement, effleurant la surface du bois, sans oser le prendre. Méritait-il un ouvrage si délicat ?


-Lo..Lonàn.

Le corbeau s'était montré du doigt, écarquillant ses yeux noirs. Il pointa ensuite le faune qui n'avait pas pipé mot depuis quelques minutes. L'effrayait-il ? Lorsque le gardien avait entendu son passage quelques fois, la jeune créature semblait plus bavarde en compagnie de la Kelpie. Alors, peut-être que son apparence lui déplaisait, il savait en s'observant parfois brièvement dans la surface de la glace que sa silhouette en aurait fait pâlir plus d'un. Tant mieux, cela gardait les ennemis a distance. 

A l'attitude en retrait que son interlocuteur ou presque interlocuteur venait d'adopter, la jeune tête de Nött bascula sur la gauche incompréhension. Il lui fallut convoquer toute la force de son esprit pour réprimer le flot de parole qui manqua de franchir ses lèvres dans lesquelles le froid avait déjà tracé ses sillons.
Le jeune faune prit une longue inspiration avant d'articuler avec un calme contraint de ce qui lui restait de discernement et de tenue:

-Alors, vous parlez?

La créature n'en revenait pas, cela faisait au moins une éternité qu'il ne lui avait pas été donné de rencontrer qui que ce soit de nouveau sur ces terres, et cela commençait à lui peser. Si les faunes de son age ne dépassaient pas sa compréhension et peut-être, se conduisaient toujours si étrangement en sa présence... Peut-être alors lui aurait-il été possible de prendre part à leurs activités plutôt que de passer son temps à la cueillette et toute autre divertissement qui occupaient ses journées qui auraient été bien solitaire si Kiva ne l'accompagnait pas souvent.
La créature reprit, l'excitation contenue s’effritant et se désignant en réponse:

-Nött! Je m'appelle Nött.

Ses petites mains insistèrent, le faune se surprit encore à toiser la créature, -Lonàn-, qui se dressait contre le matin gelé. Oh comme il lui plairait de gagner cette stature, comme il lui plairait de se déplacer entre les vieux tilleuls avec une telle démarche. Nött osa timidement, son présent toujours solidement ancré entre ses doigts.

-C'est un cadeau.

Nott jugea bon de préciser:

-Pour votre aide.

Le jeune satyre guettait patiemment la réaction de Lonàn, incapable de lire ce visage interdit.

Dans les eaux froides, mêlée à la tourbe dont elle s'était fait le royaume, une ombre silencieuse laissait sur son passage des remous si poisseux qu'ils s'évanouissaient à l'instant même où ceux-ci se forgeait. Cernée d'algues noires, la créature fendait l'eau stagnante, son crin dru qui ondulait à la surface ne retenait pas la terre humide de l'étang, glissait sur la surface gelée que son corps brisait sans le moindre soupir.
C'était comme si la neige avait étouffé le moindre son, comme si cet ancien lac avait choisi de tarir les bruits, les faire disparaitre sous les roches lisses qui tapissaient son lit.

Vous parlez ? La question le figea, le percuta comme une flèche et Lonàn eut le regard fuyant. Oh, non. L'oiseau avait une voix terrible, aussi désagréable que le grincement d'un vieux cèdre un jour de tempête ou de la lame d'une épée d'Homme contre la glace. Ses longs doigts pales couvrirent sa bouche, comme si le simple fait de se rendre compte que l'enfant avait bu ses paroles avait maudit sa langue. Les croissements à peine humain qui s'échappaient de sa gorge n'étaient que le rappel de ce qu'il n'était plus. Les laisser entendre n'avait plus été dans ses habitudes depuis des lustres. Voilà bien longtemps que le corbeau n'avait croisé personne, il s'était laissé aller dans ses barrières, face à cette petite tête tendre aux yeux grands innocents.

Nött. Nött. 


-Nö-tt. 

Epela doucement Lonàn sans qu'un son ne sorte de sa bouche. Cela sonnait rond et doux contre le palais, une note qui correspondait bien au jeune faune. De nouveau, Nött avança le présent en direction de Lonàn qui s'efforça de ne pas avoir de mouvement de recul, écartant ses yeux noirs comme ceux d'une chouette. 
Vraiment ? Pour l'oiseau ? Un "cadeau" ? Le gardien inclina la tête et fini par se pencher doucement dans sa direction, tendant de nouveau les doigts pour effleura la surface lisse du bois. Un si bel ouvrage, aurait-il aimer énoncer, mais rien ne sortit. Alors il se contenta de le prendre, tout délicatement et de l'amener dans les premières lueurs du jour. Il y avait une percée, au dessus de leur tête, entre les feuillus et les saules anciens, un puit de lumière qui faisait briller les perles de gel au bout des roseaux phragmites, orties brûlantes et grands liserons. 
Et voilà depuis bien longtemps qu'un tel sourire n'avait pas illuminé le visage de Lonàn qui se pencha de nouveau dans la direction de Nött, s'inclinant. Il serrait le présent contre sa poitrine, comme le coeur chaud d'un petit animal.

Le corbeau se retourna en direction de son arbre, sa silhouette y glissant dans un silence quasi parfait troublé par le bruissement des plumes contre la tourbe. Il grimpa le long du tronc jusque dans une large structure ronde constituée d'entrelacs d'herbes sèches. Il y réapparu quelques secondes plus tard, sautant à terre avant de se rapprocher de Nött, un peu hésitant, et de lui tendre à son tour quelque chose.

Il s'agissait d'une pointe argentée, de flèche certainement, tenue par une longue tige solide entrelacée d'un ouvrage délicat de laîches et fleurs sèches, puis d'une longue plume noire aux reflets bleutés. Peut-être le corbeau n'avait-il pas comprit le principe de "présent" mais il y tenait. Il cilla, guettant sa réaction en silence. 
Un vent fort souffla soudainement dans le silence de la tourbière, faisant frémir les arbres qui grincèrent et les roseaux, soulevant des petits éclats de glace qui fouettèrent leurs corps. Lonàn se tourna dans une direction. Quelque chose semblait accompagner ce souffle. Quelque chose... En colère. Il prit une petite inspiration effrayée, se plaçant devant Nött en écartant l'une de ses ailes. 

Nött reconnut immediatement la créature furtive qui s'extrayait des eaux avec la précision d'un félin, l'eau trouble perlait sur son corps gris, certaines algues étaient encore pendues à son crin filandreux.

Kiva se jetait d'un bon fauve sur la créature qui s'interposait entre son familier et elle, la gueule béante, ses mâchoires serties de crocs découvertes, prêtes à saisir l'intrus pour le trainer dans les eaux sombres et l'y noyer. Ce qu'il resterait de son cadavre devoré serait laissé là à pourrir dans une base épaisse, si profonde que personne n'osait jamais s'y aventurer.

La kelpie pouvait déjà imaginer la sensation de sa morsure sur le membre de la créature. Ses crocs pénétrant la chair qui opposerait une légère résistance, suffisement pour l'inviter à exercer une pression plus forte, juste assez pour menacer l'os de se briser.

Son corps tendu frissonnait à la promesse de l'épiderme qui coulerait sur sa langue.

La créature engagée dans un élan calculé se fit traversée par une incompréhension subite quand Nött s'interposa, bras grands ouverts, écartant tout son petit corps le plus largement possible pour barrer la route à celle qui s'apprêtait à lancer l'attaque.

Elle manqua d'écraser son jeune familier en retombant net sur la terre meuble qui aurait avalé son corps si elle n'avait pas été une Kelpie.
Kiva se risqua encore à avancer vers l'inconnu mais finit par se résigner devant le faune qui entravait chaque tentative. L'agacement qui la saisit lui fit expirer un souffle rauque, particulièrement bruyant. Ses oreilles toujours plaquées sur sa nuque, elle conceda à analyser plus posément la scène qui se déroulait sous ses yeux. Ce ne fut qu'après de longues minutes qu'elle constata le sillon que son sabot avait creusé dans la terre. 

Nött la mettait hors d'elle. Comment était-il seulement possible que cette créature puisse systématiquement se jeter dans des situations inconfortables? Elle ne pouvait pas dire combien elle l'aimait. Combien ce faune pouvait la réconforter d'un simple regard. Combien cette créaturz constituait le facteur le plus important de son humeur... Elle sacrifierait jusqu'au dernier arbre de cette forêt pour Nött. Et s'il l'avait fallu elle aurait décimé sa horde pour garder ce faune en vie. Elle aurait fait ce choix en un battement de coeur. Alors elle ne laisserait pas un étranger se glisser comme son ombre pour lui prendre sa vie. Jamais. Pas tant qu'elle serait là pour veiller à sa securité. À son bonheur aussi. Elle l'espérait souvent.

Quand son familier jugea enfin que la jument qui se tenait là, sa silhouette argentée se découpant dans le marais fade n'était plus un danger immédiat pour la vie de son nouvel... Ami? Kiva engagea un pas tranquille vers le satyre qui tressa machinalement quelques os dans le crin souple qui coulait entre ses doigts. Nött sentait encore de rares frissons anxieux parcourir l'encolure de son amie. Les tensions qui résidaient encore dans les muscles bandés de la kelpie se disspierent légèrement au toucher de son familier. Nött n'était pas en danger. Pas immédiatement. Si sa confiance excessive s'était manifestement étendue a l'intrus qui se tenait encore à quelques pas, ce dernier n'avait pas l'air de planifier quoi que ce soit pour l'heure. C'était suffisant pour baisser sa garde. Au moins in peu. Il était seul. S'il s'avérait une véritable menace, il serait temps de lui faire face ou d'emmener Nött en lieux sûrs. Elle connaissait suffisement cette forêt. Elle avait rétabli un certain contrôle sur l'événement. Cela lui suffit pour détendre son organisme que la détresse avait noué.
Elle adressa à l'étranger un souffle rauque en signe de désapprobation avant de se placer contre Nött qui n'avait pas rompu le contact avec la crinière argent de Kiva qui toisait la voilure noire de l'homme.

Le moindre muscle de Lonàn s'était tendu nerveusement, un arc d'humain a la corde exposée. L'oiseau sentait quelque chose approcher, l'atmosphère avait changée dans le marais. Et surtout, tous les volatiles s'étaient tus. Plus un son. Le corbeau savait ce que ça voulait dire. 

L'instant où la Kelpie surgit des eaux, telle un monstre bouillonnant de rage, Lonàn ne put qu'étendre ses ailes. Il était prêt à se défendre, à les défendre et à l'instant où cette pensée fit surface, il croisa le regard de la créature. Son crin flottait dans les airs comme des branches furieuses, ses crocs sortis prêts à percer sa chair, à déchirer ses ailes. Ses sabots vers l'avant, elle fondit vers lui et Lonàn dans un silence impeccable avait gonflé ses plumes. Il sembla grandir encore, de toute sa hauteur, ses cheveux et rémiges noires flottèrent autour de lui dans un mouvement nébuleux. Ses serres sorties se cramponnèrent dans la terre pour prendre de l'élan, éviter la morsure qui pourrait être fatale. 

Son expression, mélange de crainte et de détermination se changea en effarement lorsque la fine silhouette de Nött se jetait entre les deux créatures furieuses. L'une attaquant pour tuer, l'autre pour se défendre. Lonàn battit des ailes, interloqué, perdant presque l'équilibre dans son élan. Oiseau maladroit de toute sa hauteur, il observa la scène de pupilles élargies. Nött s'avança vers la Kelpie et la calma, la tension dans l'air sembla s'apaiser à la mesure des minutes et de ses mains dans son crin. 

Lonàn avait reculé prudemment, se glissant d'abord contre un arbre, puis y grimpant pour se trouver perché en hauteur. A la manière des martinets, il n'était pas avantagé au sol. Ses ailes étaient lourdes, puissantes mais un véritable poids qui pouvait le clouer facilement. Lui-même avait des os légers, un corps fin, mais il devait prendre garde. Il n'avait jamais pu voler très haut, ni très longtemps, mais fondre sur les intrus était plus aisé avec un élan venant du ciel. Ainsi, on ne le voyait pas venir. 

-Ami ? 

Appela doucement Lonàn après quelques instants passés dans le silence. Les oiseaux aux alentours n'avaient pas repris leurs douces mélodies, le marais était encore dérangé par la colère de la Kelpie. Quelque part, le corbeau était surpris de sa propre réaction. Du genre à rester en recul, il n'avait pas été fidèle à lui-même en faisant face au danger de la sorte. Un étrange instinct de protection, réminiscence du temps où lui et sa divinité gardait ce marais. 

Il aurait été prêt à tout sacrifier pour elle, alors il lui semblait comprendre la Kelpie. Peut-être. Ou était-ce une pointe d'envie ? Voir deux créatures si proches lui firent sentir une pique de solitude qu'il n'avait pas éprouvé depuis des lustres. Lonàn n'était pas sur d'apprécier ce sentiment qui lui serra la poitrine. Curieux, il inclinait la tête sur le côté, prêt à disparaitre entre les branchages et laisser les deux intrus repartir. Peut-être que ça aurait été mieux ainsi. Il se méfiait de la kelpie.