À la proue, une ombre- La croisade des renards

Cephaebë s'étira pour la cinquième fois en une demie heure, incapable de chasser la mine usée de son visage. Le soleil se pamait à peine sur les pierres blanches et pourtant, le brouhaha desorganisé du dehors n'avait pas cessé depuis l'aube. C'était infernal. Ael ne dormait plus depuis au-moins trois heures mais s'extirper du lit dans lequel son corps s'était imprimé n'avait pas été chose facile. Il avait fallu négocier longuement. Argos l'avait probablement un peu aidé aussi... Elle sautillait sur le matelas, tirait sur les draps soyeux, pas assez pour les déchirer mais sjffisement fort pour agacer Rey qui laissa tomber un long soupir en s'asseyant sur le lit.

Ael quitta enfin la chambre pour la cuisine et certainement pour la boisson nacrée qui lui était promise. Son habit léger se posait à peine sur sa peau, soulevé par l'air ambiant à chacun de ses pas et fir comme une caresse sur sa peau lisse. 
Rapidement, le son de l'eau frémissante remplit la pièce que le matin avait animé de ses ombres profondes.

La jeune pie sautillait joyeusement sur le comptoir de la cuisine. L'odeur du thé l'avait toujours rendue joyeuse. Elle s'était mise à bavarder tout en picorant ce pain sucré que Rey lui apportait chaque jour.
Argos pris un court élan et finit sa course les ailes déployées jusqu'à l'épaule du changeling. L''animal plongea allègrement son bec dans la tasse que Cephaebë lui partagea tendrement.

Un seul regard à travers la fenêtre creusée dans la pierre lui indiqua enfin l'événement perturbateur qui s'épanouissait en bas.

Un bâtiment avait fait son arrivée au port dans la nuit. C'était une raison suffisante pour bien vouloir se glisser hors de sa tanière. Il y aurait de l'agitation. Des poches bien ouvertes et si peu surveillées... Ael laissa se glisser un petit souffle satisfait, un ronronnement tendre se coller à sa gorge. Ael avait oublié que c'était aujourd'hui...

La créature acheva sa boisson tranquillement puis se glissa comme un chat dans la chambre pour se vêtir en circonstances.
Alors, comme une ombre liée à un soleil trompeur, Rey disparut dans la foule pressée jusqu'à sa porte, les doigts agiles prêts à sévir une fois de plus.

L'insecte qui se déposa sur la joue de Leal acheva de réduire sa grasse matinée à néant. La queue de ce dernier fouetta sa joue par réflexe et il sursauta en grommelant, couvrant son visage du drap de soierie sur lequel il avait dormi. Sa peau avait encore le goût du sel, ses cils gardaient le souvenir lourd des petits cristaux qui s'étaient déposés sur lui durant la nuit. Voilà des jours qu'ils naviguaient, lui et son équipage, enfin ils étaient retournés à bon port. Youpi, Rosalmeril, la ville de tous les plaisirs - ou des dédains. Cela dépendait du côté duquel on se trouvait, pas vrai ? 

Par chance, Leal était du bon, il s'en estimait bien heureux. Ses bras s'étirèrent au dessus de sa tête, glissant sur ses cheveux qui s'étalaient partout, emmêlés en boucles et nœuds épais. Un rayon de soleil provenant de son hublot lui chatouillait le nez et les décorations en verre délicat qui pendaient partout au plafond tintaient dans le courant d'air.
Bon. Il avait compris. Il était temps de se lever. 
Tout courbaturé, le jeune second bailla bruyamment et posa pieds à terre, enfilant ses vêtements, attrapa ses bottes en ramenant ses cheveux à l'arrière de sa tête. Il buta dans une bouteille vide qui roula à ses pieds mais n'y prit même pas garde, trop occupé à écouter des voix vociférer sur le pont. Quelques bijoux, un foulard et sa corne à sa ceinture plus tard, il se décida à monter.

-HEEEEEeeey les gars ! 

S'exclama t-il en ouvrant d'un geste sec la porte du cockepit. Les quelques membres de l'équipage qui se trouvaient sur le pont se redressèrent immédiatement. 

-C'est quoi ce bordel, on peut plus dormir ? Je faisais un rêve teeeellement agréable, vous m'décevez. 

Rigola doucement Leal en s'avançant, les paupières mi closes sous le soleil vif qui frappait le port et la mer. Il se tapait une sacrée gueule de bois. Après quelques instants à s'expliquer, tout le monde se dispersa et retourna à ses occupations. Le jeune pirate était à l'aise, souriant et détendu. La raison était simple. Puisque le capitaine était ABSENT, c'était lui qui avait les commandes. Cela durait depuis les quelques jours ou Kairos s'était absenté sur un autre de ses navires et c'était une situation tellement délicieuse. 
Leal s'en délectait à chaque instant. D'un autre côté, cet équipage était ingérable. S'ils se foutaient pas sur la gueule, ils picolaient, ou tentaient de se la couler douce. Alors le semi satyre étouffait, après plusieurs jours passés en mer à leurs côtés, encore une histoire d'alcool piqué et il explosait.

Il glissa entre les cordages, ses pieds encore nus sur le bois sec et salé, remontant jusqu'à l'étrave pour sauter habilement sur le ponton qui émit un léger bruit d'eau. Hop. Bottes enfilées, Leal s'avança en saluant ses coéquipiers, marchant habilement pour éviter les nombreux obstacles au sol.
Ah. Liberté. Sa main en coupelle pour observer la haute ville qui s'élevait face à lui et la foule qui s'accumulait devant son bâtiment pour récupérer marchandises et victuailles, Rosalmeril lui paraissait presque sympathique. 

-Leal ! 

Appela une voix. C'était l'un de tenanciers de la ville, qui tenait de multiples bar. Son nom lui échappait toujours, mais qu'importe, il suffisait de faire un grand sourire et d'avoir l'air d'écouter. L'homme encapuchonné commença à lui expliquer des choses sur la hausse des prix, et tant d'autres choses tellement intéressantes. Leal, les bras croisés, écoutait distraitement en observant les va et vient incessant des bateaux sur le port. Il y avait du monde, il sentait les corps, les odeurs le frôler, le vent balayant ses cheveux qui venaient se coller sur son visage. 
Putain, il avait mal au crâne.

Rey roucoula de plaisir à la simple pensée du jeu auquel ael allait à nouveau prendre part. Quelque-chose se crispa d'anticipation joyeuse dans son estomac. C'était grisant. Il lui tardait de fouiller ces poches pleines, gardées par des imbéciles bien trop occupés à accueillir les marins plutôt que de se souciers de leurs biens.

C'était somme toute confortable, mais parfois un peu facile. Argos picorait sa chevelure rousse qui tombait en cascade sur ses épaule nues. Ael voulait s'amuser ce matin. Quoi de mieux qu'une jeune femme de la campagne, naïve et ignorante des coutumes pour rencontrer des mousses? 
Les hommes de mer étaient décidément les plus manipulables. Cephaebe soupçonnait que la navigation avait laissé un peu trop de sel dans leurs organismes suffisement au moins pour nécroser le cerveau. En partie au moins. Ou était-ce la distance qui les séparaient des femmes qui détraquait leur sens des priorités? Rey haussa les epaules. Leurs sens tout court.
Il vallait mieux s'entendre avec ses partenaires de bord pour s'engager. C'était une certitude. 
À la pensée de ces créatures indelicates et suantes dans leurs cales dépravées, Rey réprima un frisson de dégoût.

C'était la visualisation de trop. Il fallait toujours qu'ael en fasse trop. C'en devenait pénible.

Céphaebë laça son corsage et pieds nus, épousa le sol jaune que le soleil avait tapissé. 
Ael ne comptait déjà plus les besaces vidées puis regarnies qu'ael avait rencontré sur son chemin jusqu'au port. L'agitation était telle qu'il lui était difficile de se frayer un chemin dans la foule toujours plus dense. Quoi que puisse être ce navire, il était très certainement attendu.

Probablement plein à craquer. 

Ael se glissait entre les corps avec grâce, jouant avec les regards qui se déposaient langoureusement sur sa poitrine que l'habit révélait légèrement. Ce corps était certainement le plus amusant. Rey recouvrit pour la cinquième fois son bras mécanique, désireux de s'extraire de cette manche légèrement trop large pour dissimuler son membre. 

Au loin, ses yeux fauves discernèrent le mat du bâtiment si prisé par ces gens. L'odeur du sel et de la houle commencèrent à tapisser son nez. C'était presque un peu fort. Ael avait toujours aimé se rendre au port mais parfois, il était aisé d'oublier à quel point l'iode pouvait coller à la peau, assez fort pour masquer toute autre odeur environnante. Rey aimait cela, cette odeur tiède, celle qui s'accompagnait du chant des remous d'une eau calme, pressée contre la pierre sur la jetée. 

Ael fur sortie de sa rêverie par un groupe de jeunes oiseaux qui se disputaient un cadavre de thon. Ael etait parvenu à hauteur du navire prisé. L'équipage s'extrayait seulement de son ventre gigantesque. 

Rey engagea sa valse la plus familière, dépossedant les uns pour accuser les autres, il n'y avait jamais eu de règles spécifiques. C'était seulement le plaisir du risque planant, celui de se laisser prendre, par qui? A quel moment? Dans sa danse déployée, ael ne faisait que palper les objets, imprimés dans sa paume un si court instant qu'il lui était parfois difficile de déterminer la nature de ceux ci.

Rey était invisible et à la fois, la moitié des regards étaient braqués sur ael. Faire diversion. Toujours. C'était celà, la règle unique. Son regard balayait distraitement la foule à la recherche d'un adversaire, d'un être qui puisse défendre ce qui se dissimulait sous les pans de sa veste. 
Ce dernier se heurta à une silhouette singulière. Un marin de tenait là, stoppé net par un quelconque marchand. Un forban des plus instruits. Amel avait parfois eu affaires avec le bougre. Pas des plus fins, mais ses méthodes étaient efficaces.

Son attitude trahissait un ennui lancinant.
C'était définitivement intéressant. Rey s'approcha du tandem comme l'aurait fait un jeune chat, couvert par les bruits parasites d'un jour de marché, et plongea sa main dans la poche de la créature pour en extirper une bourse de cuir. Ce ''etait pas de l'or. Quelque chose de plus léger. Un objet solitaire. 

L'odeur du sel, d'un soleil écrasé la.e frappa alors qu'ael se laissa disparaître. Quelque chose de chaud. Ael ne pris pas le temps de détailler la victime de son larcin. Son regard de pris pas la peine de croiser le sien. Il avait suffit de quelques secondes.

Rey se glissa entre les passants et disparut dans les ruelles, non sans avoir laissé son butin dans une poche à portée. 
Il lui tardait de laisser trainer son pas souple dans les tavernes ce soir. Ael tenta d'établir une liste mentale de regards trainants qui avaient pu s'attarder sur ses hanches, des époux réprimés par leurs partenaires à sa vue et aux potentiels rencontres qui pourraient se dessiner.
Ael y trouverait certainement des clients. C'était décidément une journée qui promettait d'être amusante.

Cet homme tannait Leal. Il s'accrochait d'un peu trop près à sa jambe pour le satisfaire. Déjà qu’il avait a peine fermé l’œil, s’il continuait de négocier quelques affaires avec un ton aussi monocorde, il allait s’endormir sur place. Mais à vrai dire, le satyre était trop concentré à suivre le mouvement de ses bras et ses doigts qui illustraient ses mots pour réellement boire ses paroles. Tiens, il avait la gorge sèche. 

L’agitation environnante le laissait de marbre, ses yeux noirs vaillamment fixés sur les bijoux qui ornaient les poignets de son interlocuteur. Simple observation, mais il était assez bien vêtu pour un soi-disant pauvre marchand en manque de main d’œuvre. Leal renifla, les bras croisés, le visage tourné en direction des grandes voiles de son bateau qui étaient dépliées pour réparation.

Et puis soudain, un léger parfum lui monta au nez, couvrant durant l’espace de quelques instants les tons entêtants de sel et de cuivre. Leal tourna la tête, ses boucles brunes suivant le mouvement des bijoux pendus à ses oreilles. Mais rien, seulement une vague silhouette s’éloignant dans la foule. Ses sourcils se froncèrent et le marchand tentait désespérément de regagner son attention. Le second se pinça l’arête du nez et évita ses questionnements d’un geste de la main 

-Ecoutez mon ami, vous n’aurez pas plus que ce que nous avions convenu ! Ex me nihil habebis ! 

Et la conversation s’acheva ainsi, sans appel. Leal sentait que quelque chose clochait. Il regagna son navire, son équipage s’affairait pour la plupart à la réparation de la grande voilure aux couleurs pourpres, délavée par le soleil. Ce n’est qu’en regagnant sa cabine que sa main se posa distraitement à sa ceinture, y sentant un vide. Mortifié, Leal poussa un cri et fouilla ses poches, tâtant la moindre ouverture de son pantalon. Cela lui fit faire une drôle de danse si elle n’était pas teintée de panique. Qu.. QUOI ?! Elle… Elle avait disparue. Ses deux mains regagnèrent son visage et il s’affala sur le banc en bois couvert de soieries. 

Le parfum. 

Entre ses doigts, ses yeux sibyllins se plissèrent et il serra les crocs. Voilà qu’il fallait trouver un coupable. Mais il n’avait même pas vu son visage et Rosalmeril était trop grande pour retrouver une simple odeur, il n’était pas un chien. Douce, agréable, cela aurait pu aussi bien être une femme ou un homme qui prenait soin de lui. Mais ce n'était pas un marin, c'était certain. 

Mais Leal sentait les ennuis arriver. Cet objet, cette corne, SA corne était précieuse. Au-delà d’une valeur sentimentale, c’était Kairos qui l’obligeait à l’avoir à sa ceinture. Premièrement car il était celui qui l’avait cassé, prétextant l’erreur de son second qui un beau soir, lui avait fait un peu trop d’ombre. Deuxièmement car il estimait qu’ainsi, Leal pourrait contempler son erreur, cela le rendrait plus humble. La créature agita la queue, agacée et inquiète. Kairos n’était pas là, mais le jour où il se rendrait compte qu’il l’avait perdu… Plongé dans ses pensées, il ne remarqua pas les couleurs du soir tomber sur cette ville maudite. L’on toqua à sa cabine, on l’invitait au bar.

 
Leal rigolait, souriait, mais seuls ceux qui le connaissaient par cœur sauraient déceler la légère nervosité qui tendait ses muscles. Souplement, il s’était habillé, coiffant ses cheveux, se parant de beaux vêtements colorés avant de mener son équipage à la barre. Et voilà qu’ils marchaient dans les rues pavées encore gorgées de soleil et qu’ils entraient dans l’obscure taverne. La musique était forte, l’odeur de l’alcool et des hommes surmontait les autres. Les fantômes la peuplaient, à la fois de marins, marchands, forbans, négociateurs et collectionneurs en tout genre. Leal s’attela au comptoir, les jambes élégamment croisées et ses cheveux ramenés sur ses épaules. Il se décida à étouffer ses pensées trop nombreuses dans le verre au liquide doré qu’on lui servit. Ah, bon sang. Autant s’amuser pour ce soir, non ? 

-Tournée, pour moi. Paye un verre à tout le monde. 

Lança-t-il à l'intendant après de mures instants de réflexion, s’étirant souplement sur son tabouret en déclenchant autour de lui des cris de joie et des sifflements. Des semaines en mer et de l'alcool en récompense. Toujours.
Même si certains voleurs ne le mériterait pas. Son mystérieux dérobeur pouvait-il être présent...? 

Choisir une taverne n'avait jamais été une épreuve. Il suffisait de s'introduire dans celle qui émettait le plus de bruit. Ce soir là ne faisait pas exception à la règle et Céphaebë se glissa en une ombre sournoise entre les corps qui degorgaient d'alcool. Ael s'était paré de bijoux de sa confection en accord avec sa chevelure blonde, presque blanche. Des bracelets pendaient de ses poignets comme l'auraient fait des fruits à leurs vergers, ses oreilles étaient percées de pierres délicates, une chaînette pensait lâchement à celles-ci. 
Comme ael aimait se faire elfe. Ses vêtements légers et amples se balançaient sur son pas félin, suffisamment opaques pour ne pas dévoiler sa chair au premier regard mais juste assez révélateurs pour... Ferrer du poisson. Rien de trop élaborer afin de rendre cette escapade praticable. Le tissu valsait sur sa peau nue, lui prodiguant une caresse confortable à chaque mouvement fauve qui la.e menait dans la taverne. 

Il y faisait si chaud. Les restes cuisants de soleil que la pierre avait dévoré se relâchaient soudainement, un feu prisonnier dans la roche qui n'a souhaitait pas se défaire de son aura brulante malgré le soir qui tombait sur le port.

Ses oreilles fremirent soudainement à une phrase jetée au fond de la taverne. C'était sans le moindre doute l'une de ses phrases préférées.

-Tournée, pour moi. Paye un verre à tout le monde.

Ael reconnaissait bien là les marins et leur grammaire paresseuse.. Et ces éclats de générosité faussement desinteressés: garder ses hommes gentiment sous sa coupe. 

L'elfe réduisit l'écart qui la.e séparait de cette voix chantante. Juste assez pour apparaître à sa gauche, se présenter au comptoir comme l'aurait fait un chat. S'il y avait eu une âme à sa place une seconde avant, celle-ci ne s'était pas faite prier pour disparaître. Les elfes ont.. certains privilèges.

Rey détailla succintement la créature qui séjournait à sa droite: ce n'était certainement pas le genre qu'ael s'attendait à trouver en mer. 
Le chaos ambiant couvrait les demandes qui pleuvaient tout autour en réponse à cette offre que personne n'osa refuser.
Son regard balaya l'assemblée, l'excitation était telle qu'au moins la moitié d'entre eux aurait pu exploser.

Rey bascula légèrement la tête pour capter le regard du faune sans se tourner en sa direction. Il était étrangement aisé de se plonger dans celui-ci.
Un sourire joueur s'était epinglé sur ses lèvres légèrement maquillées. Ael avait toujours aimé ce moments. Pour le jeu partagé, pour confirmer le fait qu'ael pouvait être désiré. C'était reconfortant. En particulier quand nul n'est dupe et que tout n'est qu'une partie de cartes qu'il suffit de mener.

Rey réduisit encore l'espace en brisant un silence que la taverne ne laissait pas exister:

-J'ai toujours trouvé ces offres tout à fait impersonnelles. Et la bière me reste sur l'estomac. Comment comptes-tu remédier à cela Capitaine?

Ce titre se perdit dans une expiration maligne. Ael avait parlé suffisamment fort pour attirer son attention, mais assez tendrement pour ne pas risquer de perdre son jeu. Ce n'était pas moqueur, seulement amusé. Malgré le brouhaha de ses hommes, Rey savait qu'il l'avait entendu.

Leal était loin dans son esprit, bien caché derrière son crâne. Indifférent au tôlé qu’il avait provoqué, ses yeux noirs se perdaient dans les mouvements du liquide qui s’agitait dans son verre. Il remuait comme la houle sous la sous-barbe et dans ses oreilles il entendait le claquement familier, l’instant suspendu avant que la coque ne frappe contre ls eaux. Eh. Son autre main passa contre sa ceinture, là où elle devait être. Plus les heures passaient, plus ce vol lui semblait injuste. Le terme n’était peut-être pas très juste, pour un pirate. Voulait-il vengeance ? Il n’en savait trop rien, il espérait que cette longue nuit lui apporte conseil.

Le verre se porta à sa bouche, mais son geste se figea lorsqu’une voix étrangère se berça au creux de son oreille gauche. Leal inclina doucement la tête, reposant son verre. Le tintement mat contre le bois glissa sous ses doigts et en un instant, il s’était habillé d’un sourire. Ses boucles brunes suivirent le mouvement et sa longue queue bovine s’agita. Tiens donc. Voilà un visage inconnu. Leal ne se laissa pas déstabilisé pour autant, haussa un sourcil en posant son menton contre sa paume. 

Il n’était pas étonnant pour lui, de se faire aborder. Mais par un.e elfe… ? Avait-il touché le gros-lot ? Le bougre le tutoyait, en plus. Quoique, les présents trop vite offerts pouvaient être aussi bien empoisonnés. Ses prunelles brunes passèrent sur son visage, ses cheveux, ses bijoux et sa tenue. Le tout était élégamment composé, il le devinait, avec grand soin. Leal n’aurait pas assumé le genre de l’inconnu.e qui devait apprécier brouiller les frontières.

-Et qu’est-ce qu’il vous ferait plaisir ?

Souffla le pirate, ne le lâchant pas du regard, croisant les jambes. Qui sait ? Il était d’humeur passable mais peut-être qu’une discussion pouvait changer la donne. Les cris ne s’apaisaient pas sur leurs arrières, mais Leal était habitué au vacarme, alors cela ne le déstabilisait pas. Pourtant… Il y avait une odeur. Ténue, mais qui commençait à lui revenir. Il plissa les paupières, alerte. Le voleur de trésors était-il présent ? 

Un sourire entendu s'établit sur ses lèvres à la proposition de boisson.
Rey se réajusta contre le comptoir pour jauger correctement l'individu qui lui faisait face et s'ancra profondément dans sa position. Ael glissa tranquillement, sans attendre nulle réponse:

-En mer on laisse toute sa confiance au capitaine n'est-ce pas? Alors je vais me fier à son jugement.

Rey se pencha délicatement pour saisir et mener le verre du capitaine à ses lèvres pour l'y déposer. Sans quitter le faune des yeux, ael sirota le liquide ambré qui se pamait dans le verre du pirate avec l'arrogance d'un chat qui aurait menacer de pousser un vase sur le rebord d'une table.
Cephaëbe se délecta de l'amertume plaquée contre son palais.
Son regard solidement ancré dans les yeux du pirate, le changelin se détacha du verre épais avec une lenteur fauve, attendant patiemment la réaction de son interlocuteur.
Ael avait maintenu une certaine distance, incapable de lire ce qui se passait devant les yeux de la créature interdite.